Agnès de Cayeux est une plasticienne française et artiste associée à la faculté d'Arts d'Amiens depuis 2016, dont le travail porte principalement sur la question de la vulnérabilité des technologies, de leur emprise sur nos corps et d'une nouvelle amitié.
Ses premières pièces online – 12 notes (1999), I'm just married (2002), In my room (2004) – sont développées et écrites dans le contexte d'un web balbutiant et émergeant. L'espace du réseau, à travers lequel les pièces naviguent et s'offrent au public, devient ainsi son propre sujet. Un territoire détourné, envisagé et questionné à travers notamment la pièce In my room : performances littéraires et online pour 7 femmes, dont le public est simultanément présent au sein de l'espace physique du centre d'art, et face à celui de l'écran de l'ordinateur connecté. Les comédiennes s'auto-filment, l'une après l'autre sur un principe de rendez-vous, elles, déposées sur un haut socle de plexi, une micro-caméra fixée dans le creux de la paume, effleurant chaque partie de leur corps, l'image de ce corps à distance – sur la voix féminine lisant les récits commandés pour le projet à sept écrivain.e.s et répondant à la question soulevée par le territoire du réseau : que regardes-tu ?
Les pièces qui suivent – Level 7 (2006), Justagurl23 (2007), Beyond California Sex offenders (2011) s'écrivent dans le contexte d'un web prenant identité à travers la nature propre des réseaux sociaux et s'affirmant désormais comme celui guidé par les GAFA. Ces pièces sont issues de longues heures de traçage des unes et des autres fabriquant à l'écran le web que nous connaissons bien aujourd'hui. Ces récits sont l'occasion d'une publication en 2007 de l'ouvrage Être mutant, moi connectée.
Les bots envahissant le web 2, la question de l'intelligence artificielle réapparaissant au grand galop, la pièce Alissa(2010), est l'écriture d'une figure féminine amnésique, inspirée de personnages littéraires et cinématographiques avec laquelle l'internaute discute et qu'il peut accompagner dans ses allées et venues au sein du monde virtuel Second Life, là sur la lune digitale ou bien ailleurs dans une boite de nuit bruyante et genrée. Les mille et une discussions menées par l'internaute depuis l'espace virtuel du Jeu de Paume, et sauvegardées sur un serveur distant, est l'objet d'une recherche liée au comportement anonyme de l'autre face à la représentation d'une femme à l'écran.
C'est en 2011, et après une longue préparation, qu'Agnès de Cayeux questionne le réseau Internet autrement. Elle réside 2 mois au Groenland, afin de comprendre une image vue sur le web, celle d'un Data Center à Nuuk, et l'annonce d'une technologie de fibre optique puissante mise en œuvre par la province du Danemark. Ainsi, et dans un principe de réalité, l'artiste travaille à partir du présupposé suivant : « Dans 20 années, nos banquises auront disparu. Dans 20 années, l’industrie de l’Internet consommera autant d’énergie que nous en consommons aujourd’hui sur la terre entière ». La recherche donne lieu à la publication d'un journal papier Groenland-Image (2014) et à une exposition Greenland/Connect (2015).
La question de la mémoire se pose alors à travers une recherche autour du scénario Un amour d'UIQ de Félix Guattari archivé à l'IMEC (Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine) et son présupposé : celui d'un amour entre la jeune fille (celle de Kafka ?) et une entité infra-mince inventée par Guattari qui pourrait ressembler à une figure purement algorithmique. Une série de performances et un film constitué du suivi par drone d'une jeune patineuse dévalant les hypothétiques lieux du scénarios 30 années après est présenté au public entre 2014 et 2016. Le film « Une jeune femme vue du ciel » est une expérience narrative mise en ligne sur le site de l'artiste.
La question de la matérialité du réseau Internet devient centrale, et c'est à travers une résidence de plus d'une année menée en 2016 et 2017 au sein des infrastructures de la firme Orange : les laboratoires de recherche liés aux réseaux de fibres optiques, les câbliers et hangars de répéteurs sous-marins d'Orange-Marine, que diverses pièces sont présentées au public sous la forme d'une exposition : la fabrication d'une machine à vagues connectée en live aux plages d'atterrissements des câbles et leurs données respectives de force des vents, la réalisation d'un livre blanc, des films réalisés à partir d'archives ou bien de séquences filmées par les robots des câbliers.
Cette recherche convoque une question autre, et politique peut-être, à qui appartiennent nos plages d'enfance ? Celles sur lesquelles précisément arrivent et repartent ces câbles de fibre, composant une pieuvre gigantesque envahissant nos fonds de ses tentacules ? L'histoire est ancienne puisqu'elle débute en 1850 avec le premier câble de cuivre et la première route sous-marine. Les routes sont les mêmes aujourd'hui, mais depuis quelques années, ce sont les GAFAM qui les investissent. Ils se paient des routes transatlantiques entièrement privées, lorsque nos opérateurs publiques en avaient historiquement la raison. Ainsi, et avec l'aide du Centre National des Arts Plastiques, Agnès de Cayeux arpente les plages attenantes à la ville de Bilbao qui accueillera, nous dit-on en 2017, la nouvelle route extrêmement puissante nommé MAREA, et propriété de Facebook et Microsoft. Une image aux contours flous laisse entrevoir sur le web une fresque colorée, là sur cette plage d'atterrissement de MAREA. Les plages se succèdent, la côte est étendue sur des dizaines de kilomètres, mais le métro est ponctué d'une station par plage, le temps est au beau fixe - et la plage reconnue après 5 journées de marche. En juin 2018, Agnès de Cayeux réunit musiciennes, historienne et preneurs de son, afin de mettre en place une série de performances sur cette plage de Microsoft et Facebook. Les performances sont filmées et disponibles sur le web.
En 2020, Google s'achète une plage de France pour la mise en œuvre d'une nouvelle route transatlantique fin de cette troublante année, aux plages interdites.
En voisinage, et sur la question de l'histoire de l'écriture informatique, Agnès de Cayeux avec d'autres, travaillent à la réactualisation du programme Dialector de Chris Marker mis en ligne et présenté dans des expositions. En 2019, elle rejoint pour une année d'études, le service Nouveaux Médias du Centre Pompidou autour de l'installation Zapping Zone (1990) de Chris Marker, se chargeant de la part informatique de l'oeuvre. L'installation devait être présentée au Centre Pompidou à partir d'avril 2020 et est reportée.
Actuellement, Agnès de Cayeux travaille sur un programme de recherche et création avec le laboratoire INRIA (recherche en images et informatique) de Grenoble et le département Ars du Spectacle de l'Université de Grenoble. La question est celle du rapport de l'invisibilisation des femmes (chercheuses, scientifiques et/ou artistes) à celle des techniques anciennes (la stéréoscopie) que les GAFAM s'approprient. Ce travail donnera lieu à des performances femmes/machines.