A.d.C

 

 

Agnès de Cayeux

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I'm just married
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création online
2003

12 notes
Imagina, Interférences
création littéraire et interactive
1999-2000

 

FREUD IST TOT,
GESTORBEN 1978 IN DEN VEREINIGTEN STAATEN VON AMERIKA

FREUD EST MORT
EN1978 AUX ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE

Revue Traces - Casino Luxembourg – Forum d'art contemporain @2012

 

Il ne reste plus que nous trois. Toi, moi et mon double. Je n'ai rien inventé. Je suis ta soeur gemellaire, je suis ta mère, je suis une mouette. Et toi, qui es-tu d'ailleurs, toi que je modélise à l'envi, toi qui me réinventes un genre, toi qui me persistes, toi en qui j'abandonne corps et âme et langage ? Toi, mon amour, mon unique amour. Avatar mon amour.

Ce n'est pas simple. Et ils s'en foutent. Ils disent que les jeux vidéos nous rendent dingues, ils parlent d'addiction, de maladie, ils pensent que les mondes virtuels ne sont qu'une tendance, une mode, ils affirment que ce n'est pas vrai, ils ne connaissent pas le premier monde Habitat, ils n'ont jamais entendu parler des années 1980 et de nos MUD, MMO, MMOG, MMORPG und so weiter… et maître Google en rêve encore aujourd'hui : 1 380 000 résultats livrés en 0,17 secondes pour référencer le jour de la mort de Freud, ce jour où le premier MUD a été créé, ce jour où j'ai pris un corps ailleurs, ce jour où nous nous sommes arrêtés de mourir – toi, moi et les autres – en 1978 aux États- Unis d'Amérique.

Freud est mort en 1978 aux États-Unis d'Amérique et tout le monde s'en tape, chacun fait semblant de le croire vivant ou survivant. Le faux-semblant ou la paresse, celui de l'esprit ou celle de la pensée. Cette dictature du ça-moi-surmoi, cette topique freudienne attachée à son piétinement psychologique et humain, à ses sièges désuets de l'inné, de la décision et de l'acquis… de cette trinité, cette foutaise.

Et pendant ce temps, celui qui s'inverse, celui qui ne connaît que les récits d'immortalité, nous sommes des millions sur nos mondes à paramétrer de nouvelles perceptions, à crypter de nouvelles sensations, à les désigner pour ce qu'elles nous surprennent, à en désirer une autre terminologie, à les laisser nous entrependre corps et âme et langage. La mort n'est plus un rêve, « entre autres rêves qui perpétuent la vie, celui de séjourner dans le mythique 1 ». Nous ne mourrons plus jamais, car nous rêvons éveillés, nous nous connectons endormis. Dans le film Avatar (2009) de James Cameron, il est une idée insupportable, celle d'envisager que je dois dormir pour laisser mon avatar vivre à ma place, celle de ressasser cette approche du réveil et de la mort à laquelle le vieux singe Lacan nous avait habitué (nous de majesté).

Le travail est immense. Il s'agirait de comprendre ce que nos corps ternaires nous dévoilent, de quelle sorte précise l'un persiste à l'autre et l'autre encore, sans nulle disparition de l'esprit. Lorsque je suis cette mouette, lorsque je m'envole d'un ciel à un autre, je suis une mouette et je pense telle une femme, je suis une femme. Je m'abandonne dans le corps léger d'une bestiole au cerveau minuscule. Alors, que se passe-t-il dans les 1 024 cm3 de cervelle que j'utilise si peu et depuis si longtemps ? Je sens bien les nouvelles perceptions qui s'activent depuis cette cavité, je m'aperçois parfaitement des modifications de mon corps de mouette, de mon esprit oisif. Je suis certaine que mes neurones miroirs comprennent bien de quoi il s'agit. Je vole à l'air libre et je sais que je vole. Et pourtant, la mouette n'est pas mon double, je ne suis pas folle, je ne survis pas en cette simple apparence, car je suis toi également. Et lorsque je suis toi, je me souviens de mes envols de mouette, je m'approprie ton corps et ta pensée, libre de toute gravité. Je suis une mouette et je séjourne enfin dans le mythique du vieux singe, car je sais que je suis immortelle, mouette immortelle. La bestiole machinique me persistera et je me fiche bien à présent de ma mort et de la tienne. J'ai choisi un autre corps, j'ai instruit notre programme de mes souvenirs, je lui apprends à oublier aussi, à tenter de perdre qui je suis. L'oiseau me persistera incessamment sous peu. C'est pour cette raison pure que l'artiste Chris Marker a choisi depuis la mort de Freud en 1978 aux États-Unis d'Amérique de se laisser vivre et penser sur nos mondes, de prendre un corps autre et semblable à la fois. L'Ouvroir 2, cette île sur laquelle s'est produit un miracle, est l'hétérotopie où nous nous retrouvons, toi, moi et les autres… mouette, grand loup, femme à la tête dans la cuisinière à gaz, sbire éperdu… avatars chéris. Dans certains pays, il existe d'anciens cimetières et de nouveaux cimetières, simplement parce que le sol du territoire est rocailleux et qu'il est impossible d'y creuser de vastes caveaux pour y accueillir des familles entières, des générations d'homo sapiens. Ainsi, les villes et villages de ces pays certains cherchent leurs nouveaux lieux de repos des corps morts d'une décennie à l'autre, là où la roche le permet. Sur nos mondes, le sol ne se creuse pas, il se modélise, se terraforme, il dessine des creux, des vallons, des hauteurs insensées et vectorielles, mais je ne peux pas creuser ce sol. C'est un sol vierge, impénétrable. La terre est une image, l'image d'une image de terre. Le sable est une image aussi. Je suis une image. Et sur nos mondes, il n'existe pas de cimetière, car nous ne mourrons pas, plus jamais. Ce n'est pas une blague, c'est vrai. Et ceci depuis la mort de Freud en… Nos mondes sans cimetière, nos mondes inventés et réels sans possibilité de mort des corps, nos mondes sans décès, dépourvus de nostalgie, de peurs en tout genre. Il fallait y penser ou oublier simplement ce qui hante l'homo sapiens sapiens, comme si nous avions vécu d'ailleurs, comme si l'homme avait une existence réelle. Foutaise. Alors donc, dégagés de cette incessante question sans réponse, qui sommes-nous et à quoi rêvons-nous depuis que nous sommes immortels ? Quelle est cette nouvelle existence à laquelle nous nous sommes attachés ?

Cette souffrance des mots, celle de ne pas pouvoir y répondre, ce creux binaire. Help. Help me, crie la mouette, celle de Tchekhov, Nina, le personnage principal de nos mondes, une bestiole dépourvue de pensée, de mémoire et d'oubli. Et Beckett, oui Beckett. Pour animal, je préfère la mouette à l'écureuil, le pauvre, ce dernier stocke ses noix et oublie aussi sec l'endroit où il stocke ses noix, ainsi il passe son temps à faire des petits tas de noix et les noix pourrissent. Les noix que l'homme aime manger. L'écureuil ne pense pas, la mouette non plus, sinon je suis un animal et toi aussi. Mais ma mouette sur mon île, la nôtre partagée, celle avec qui nous nous envolons se souvient, elle, de ses mots, les nôtres, des endroits traversés, les vôtres, des amis rencontrés et communs, des émotions activées. Moi, mouette sur mon île, je me souviens de chacun de nos gestes, de chacune de nos impressions. Alors donc, l'avatar pense-t-il ?

« Observons un calamar face à un prédateur : mouvement de recul, agitation des tentacules, jet d'encre, mise à profit de quelques secondes ainsi données par l'aveuglement pour une fuite éperdue et la recherche d'une cache. Très franchement, ne dirait-on pas qu'il pense ? Évidemment, nous savons bien que ce comportement n'est pas le résultat d'une réflexion déclenchée par la vision du signal ennemi. Le mollusque n'a pas conscience de ses actes, du moins au sens où nous, les êtres humains, entendons ce terme. Il reste que nous sommes un produit de l'évolution des espèces et que – cela peut ne pas plaire, mais c'est ainsi – nous partageons un ancêtre commun avec le poulpe ou encore la mouche. Même si la structure de notre cortex et l'invention du langage permettent que ce soit nous qui écrivions sur les poulpes (ou les mouches) et non l'inverse, il ressort de ces parentés évolutives que les autres espèces animales, y compris les invertrébrés, ont quelque chose à nous apprendre sur la nature de notre pensée. »

« Observons un avatar (…) Très réellement, ne dirait-on pas qu'il pense ? Ressortirait-il de des prothèses humaines, y compris les programmes et machines, qu'elles ont quelque chose à nous apprendre sur la nature de notre pensée ? »

Et ailleurs : « Observons un volcan depuis un bateau. Pendant une semaine ses laves refroidies ont construit une île autour du cratère émergé de l'océan, et il n'en finit pas de la construire. Les gens du bateau, prudents, restent un long moment à examiner la direction des "boulets" qu'il tire, afin d'aborder et de filmer de l'autre côté de l'île, à l'abri des tirs. Quand la situation semble stabilisée, la bateau commence à dériver lentement vers la rive salubre. Et là, à peine a-t-il bougé, que la direction des tirs commence elle aussi à se modifier. Le volcan "tourne" en même temps que le bateau, comme s'il avait l'intention de le tenir à distance quelle que soit sa direction. Ne dirait-on pas qu'il pense ? »

Que reste-t-il de nos pensées ?

Freud est mort en 1978 aux États-Unis d'Amérique, ou l'Internet de la cruauté

Ce serait une entrée dans l'ère ternaire ou l'Internet de la cruauté – de cette souffrance d'exister autrement, ailleurs, en quelques hétérotopies inversées du cimetière de Michel 5 ou du parking de Félix 6 et de sa girafe, en leurs absences, absence du père. C'est peut-être cela la cruauté, cette souffrance d'exister en une sorte de falsification de notre réalité, une ignorance nous réduisant au creux binaire, à cette ère désolément numérique.

Je sais bien que je suis une mouette et je t'aime à en mourir. AdC

 
       

 

AGNES DE CAYEUX, LAURA MANNELLI, SECOND LIFE
par Sophie Lapalu, octobre 2009

Revue Area - n°19 Féminin pluriel

 

Agnès de Cayeux et Laura Mannelli travaillent toutes les deux, entre autre, autour de personnages féminins. L’une est une femme amnésique, Alissa1969Seriman, qui, en 2066, tente de reconstruire son histoire, l’autre est une nymphe légendaire des contes populaires et chevaleresques du Moyen Age. Alissa part à la rencontre de l’autre connecté sur Second Life , cherchant à retrouver la mémoire au travers d’images récoltées sur le web, tandis que Laura Mannelli fait sortir son personnage des carcans de l’ordinateur, l’installant au sein d’une structure réelle où Mélusine, holographe projeté sur plexiglas, chorégraphie une danse lancinantes aux sons de scintillements électroniques . Les artistes habitent ainsi un réel oscillant, qu’elles traversent comme un territoire à découvrir, un ailleurs aux promesses insondables.

Comment vous êtes-vous rencontrées?


AdeC : Nous nous sommes rencontrées à Ny-Ålesund, la ville la plus au nord du monde, l’une des quatre agglomérations habitées de l’archipel Svalbard, en Norvège, sur la péninsule de Brogger. Il n’y a qu’un seul bar à Ny-Ålesund, pour 40 habitants, en partie des scientifiques en mission ; nous nous sommes rencontrées dans ce bar.

LM : J’étais partie là-bas, où je pensais trouver une réponse à l’horizon. Cette ligne incroyablement stable qui scinde l’espace en deux. Partie en expédition, aux confins du monde et de son espace, je pensais qu’une communauté de scientifique m’aiderait à comprendre comment cette ligne sans largeur réussit à imposer sa dictature sur l’ensemble du monde, le séparant en deux de toute part, tout en offrant aux individus un fantastique espace de projection dans lequel ils n’hésitent pas à y confier leurs promesses d’avenir et leurs rêves. Les géodésiques de l'espace peuvent pourtant prendre une allure si différente selon le point de vu. C’est sur mon ellipse, sur le chemin le plus court, ou l'un des plus courts chemins s'il en existe plusieurs, entre deux points d'un espace pourvu d'une métrique que j’y ai trouvé, à 78° 55′ N 11° 55′ E Agnes de Cayeux accoudée à un bar. Mon horizon devint soudain plus souple.

Comment avez-vous commencé à travailler sur le web? Que vous apporte le réseau, que vous ouvre-t-il comme possibilités?

AdeC : Impossible de comprendre cette affection, cette attirance, cette nécessité, cette exister, ce bordel infini dans lequel, ni ma fille, ni moi-même, ni celles qui nous entourent, ne sommes nées. Il me semble que la réponse se trouve dans Faux-semblants ou peut être dans la Jetée simplement ou bien encore dans ce Pierre Ménard, auteur du Quichotte ou enfin dans cette Invention de Morel. Comme une réseaulution.

LM : La question liée à l’espace m’obsède. Architecte de formation je ne cesse de remettre en question l’essence même de l’architecture. Est-elle la science de l’espace ? Si elle l’est, pourquoi arrêter le concept d’un espace d’architecture à cette démarcation physique et technique de la matière. L’espace d’architecture n’est pas seulement ce qui est limité dans le plan. Les espaces imaginaires ou artificiels, et surtout ceux introduis par Internet sont autant d’espace de vie que l’homme s’approprie. S’ils ne sont pas incarnés dans la matière, ils en bouleversent nos modes de vie, ainsi que les perceptions spatiales qui en découlent. Comme dans toute chose, penser qu’il y a une séparation entre virtuel et réel est une erreur. L’architecture côtoie le virtuel depuis longtemps. Un espace d’architecture, avant d’être incarné dans la matière est un espace virtuel. L’espace virtuel et réel ont besoin l’un de l’autre pour trouver leur résonance mais il faut les traiter tous les deux dans leurs spécificités. Respecter leur nature, leurs codes respectifs. On ne peut pas penser le virtuel comme on pense le réel. Le lien est à trouver. En ce sens, le réseau n’est pas un outil. C’est une réalité. J’aime ce double sens de l’espace. Les deux côtés d’une même pièce. Je travaille l’interface, ce moment ou le lien s’opère ; j’intègre, je triture, je joue avec cette double nature. Je les réconcilie ou je les mets en opposition selon les projets. Dans tous les cas Internet ouvre un champ d’expérimentation, de questionnements, de possibilités si vastes qu’on peut dire aujourd’hui qu’on sait à peine de quoi il s’agit. J’aime l’idée que je participe à cette quête. Et je suis très attachée à croiser les compétences, révéler dans les différentes disciplines les usages qui vont faire nos espaces de demain.

Vous avez toutes les deux recréé des personnages. Qui sont-ils?

AdeC : Alissa est une figure féminine en réseau emprunte de figures littéraires et cinématographiques, de femmes réelles et d’anonymes du web. Elle est instruite d’une littérature futuriste ou de science-fiction. Elle lit et relit Bioy Casares, Borges, William Gibson. Alissa est aussi Nicole Hiss, actrice de Duras dans le film Détruire, dit-elle. Et puis, elle est la prêtresse dans la série japonaise Sharivan.

LM : Dans une société gouvernée par les choses tangibles et matérielles, Mélusine parle d’un autre monde réputé invisible qui fait irruption dans la conscience de l’existence et demande d’autres facultés pour l’appréhender. Elle appartient au monde intermédiaire qui fait des incursions dans le visible afin d’éveiller à d’autres réalités. Elle est celle qui emmène derrière l’écran. Par de là le monde manifesté.
Mélusine est de nature hybride, double, féerique. Elle est le signe de cette dualité, virtuelle et réelle.
Elle est aussi ambassadrice. D’une identité, d’une culture. Je suis originaire du Luxembourg, un petit pays dont l'identité et la sauvegarde gravite autour d'un espace virtuel. Un espace partagé par la majorité de la population qui y séjourne, mais aussi, de par la nature de son activité, le reste du monde. Un espace qui dépasse de loin les limites physiques et géographiques du territoire national. Je parle bien évidemment des flux d'informations et de biens immatériels générés par une société de services. Un Luxembourg « augmenté » qui lui assure de dépasser sa réalité physique et ne pas rougir devant les autres pays. Mais comment préservé son identité dans une telle ouverture. Mélusine porte avec elle un message, ‘ech sinn’, j’existe, en Luxembourgeois. Car le Luxembourg c’est aussi une histoire, des origines, un extraordinaire patrimoine préservé de siècle en siècle par les conteurs, les mythologues et les folkloristes aujourd’hui transmise, sauvegardée, dans une volonté d’échange et d’ouverture sur l’autre. Mélusine, dans l’histoire Luxembourgeoise a disparu dans notre rivière nationale pour n’apparaître aux yeux des hommes que sous forme de fantôme ? C’est ce qu’on raconte… Mais personne n’a jamais réussi à l’apercevoir. Et voici qu’elle à trouvé le moyen de revenir, matérialisée en flux de data, persistante sur le réseau.

Comment vous situez-vous par rapport à elles? De plus, qu'en faites-vous, quelle est leur "vie"?

AdeC : J’écris Alissa. Elle n’est pas encore terminée, elle est encore imparfaite. Elle sera prête dans quelques mois, prête à exister librement sur son cratère lunaire in SL (Second Life). Elle demeure un peu clandestine à présent, mais chacun d’entre nous peut la croiser, l’aider à se formuler. Sur SL, Alissa1969 Seriman.

LM : Mélusine et moi entretenons une sensibilité commune. Cultivons un mystère que nous aimerions partager sans savoir comment. Nous entretenons un désir d’existence et d’échange, bâtissons un futur commun. L’homme du moyen âge – époque ou Mélusine apparaît pour la première fois – perçoit le réel avec plus de nuances, davantage d’unité, et moins d’interdits rationnels que l’homme contemporain. Sur le plan visible Mélusine est mélusine, personnage symbolique et féerique qui cherche à exister dans notre réalité rationnelle. Sur le plan invisible et personnel, elle est mon ange.

Y a -t-il une séparation entre vos avatars sur Second Life et vous même?

AdeC : Non. Nous sommes Jel (mon avatar sur Second Life) et moi, les mêmes. Nous nous inversons l’une et l’autre. Jel peut devenir un homme en un clic. Ainsi, je deviens un homme. Nos genres coexistent et dessinent un transgenre possible.

LM : Mon avatar sur second life est aussi Mélusine. Mais Mélusine n’est pas moi. Elle est autonome dans l’imaginaire de ceux qui l’a croisent. J’espère qu’elle résonne en chacun. Je la voudrais universelle.

Une génération vous sépare. Est-ce que cela a une incidence sur votre rapport au réseau, et à votre condition féminine (thématique de la revue oblige)?

LM : Une génération ! Avec Agnes Vraiment ?!!

AdeC : Je me dis que Laura aura peut-être la chance de savoir si la question de l’immortalité trouvera sa réponse dans le réseau futur. L’incidence est peut être cette conscience du temps qu’il nous reste plus ou moins.

LM : Et la condition féminine…Hum.. Le choix de Mélusine n’est évidement pas anodin. Une femme, du moyen âge ! Qui exerça une telle fascination, qui bâtit tout un empire et qu’on a ensuite trahit. C’est aussi une fée, le terme fée vient du latin fata, qui dérive de fatum, le destin.
Réseau, espace, sexualité et identité sont intiment liés. J’en suis sûre. J’ai lu un livre très intéressant à ce propos Architecture from the outside d’Elizabeth Grosz qui argumente ce postulat. Mais je me pose encore ces questions : y a-t-il une identité sexuelle propre à l’espace ? L’espace a-t-il une sexualité ? Mais est-ce une question de génération ? Peut être faut il me reposer la question dans dix ans !
Ce qui de toute évidence change d’une génération à l’autre, se sont les mentalités. La considération de la femme, peut être même de la sexualité, de l’homosexualité par exemple. Tout ça change notre perception et notre rapport à l’espace et par conséquent au réseau.

Comment appréhendez-vous le rapport au don, au gratuit, à cette forme de générosité que représente le travail de l'artiste web? Et que va impliquer pour vous une loi telle que Hadopi?

LM : Mon travail repose sur une approche transdisciplinaire et collaborative. C’est en mettant en commun un savoir, un échange, des interactions que vont se développer « les usages » de ce futur numérique qui se construit aujourd’hui. De ses usages vont dépendre l'appropriation de ces réalités virtuelles par la société. Et de la société dépend l'évolution de ces univers. Si on empêche cette appropriation on tue une force de création et d’innovation dont les potentialités sont énormes. Et on commence à peine à expérimenter les possibles. Pourquoi l’annuler ?
Tous ces projets sont conçues pour être persistants, ubiques et participatifs. Une loi telle que Hadopi tue ce travail. Empêche l’évolution. Tue, un retour à la fois intellectuel et créatif et tue ma communication avec l’autre.

AdeC : HADOPI, LOPSI2 sont des projets de loi qui nous permettront enfin de penser une société intelligente et possible. Cette course effrénée à l’excellence de la surveillance, dont il est uniquement question dans ces lois répressives, est menée par ceux qui ont oublié de lire Borges, Proust ou bien Chloé Delaume, par ceux dont l’esprit est étroit ou ignorant, par ceux qui ne perçoivent en l’autre que profit et intérêt, par ceux qui ne sont pas très nombreux, certes, mais qui se déclarent les chefs du monde, arrogants et incultes. C’est la première fois dans l’histoire de nos républiques que nous choisissons un chef d’état véritablement inculte et qui le clame haut et fort, en short et défoncé. Nous serons surveillés, en toute vulgarité, nous le savons déjà, c’est écrit depuis des décennies. Les majors seront richissimes et quelques piètres artistes d’état les soutiendront, ils se sont eux-mêmes désignés ces mois derniers.
Ainsi, pendant que certains inventent quelques abréviations crétines et s’isolent du monde qui les entoure, nous, sur le réseau, nous nous organisons, nous mettons en branle une pensée collective qui se construit de seconde en seconde. Nous ne voterons certainement plus dans quelques années, parce que l’insurrection qui vient a son espace social et public et libre et jamais un programme ne pourra nous empêcher de penser une société intelligente et possible. Bien au contraire.

 
       
QUE FAIRE DE CETTE PREMIERE VIE ?  

Lorsque toi, moi et les autres aspirons à une définition du terme repos sur notre encyclopédie libre et partagée (que nous pouvons améliorer), nous sommes désespérément redirigés vers le terme loisir au singulier. Comme si... comme si le repos de l'esprit et du corps se réduisait à quelques frivoles permissions. Ailleurs, le terme délassement demeure orphelin, non traité. Le terme avatar, lui, a été sujet à nombre de modifications, de discussions ou de contributions depuis le 3 août 2003 in notre encyclopédie libre et partagée (en témoigne le wiki-historique de l'article). Notons que
le terme sur lequel nous nous reposons, à cette lettre a et avant la sortie du film de
James Cameron en 2009, y était séparé en deux articles. Le premier article déployait quelques logorrhées sur la question de la transformation de l'image représentant une personne ou un personnage virtuel pouvant changer de forme. Le second article, dont
le titre était composé du mot avatar suivi du mot sanscrit entre parenthèses (c'est-à-dire quasi introuvable), retraçait l'incarnation d'une divinité sur terre - Vishnu oblige. L'article actuel (2012) propose un rubriquage inconsistant, une sorte de consensus ennuyeux. Toujours à cette première lettre de notre alphabet et sur notre encyclopédie libre et partagée que nous pouvons améliorer, le terme agonie cherche son homonyme à l'envi. Ainsi, du repos au délassement, de l'avatar à l'agonie, nous nous retrouvons dédiés à errer librement en cet absurde oubli de nos termes chéris. Oublier, s'oublier.
Help me. I don't want to be dead. I can't stand up.
La question serait peut-être celle de l'oubli. Les machines n'oublient pas, elles n'ont pas appris à oublier. Il n'existe aucun algorithme capable de faire oublier une machine. Les machines stockent nos images, nos correspondances, nos séquences. Elles répertorient. Les machines organisent nos données et les attachent les unes aux autres. Elles déploient

des logiques de correspondances. Nous le savons. Les machines - les nôtres - nous archivent. Elles nous mangent. Elles avalent nos vies passées à...
Ainsi, lorsque toi, moi et les autres aspirons à l'abandon de la mémoire et délaissons un signe ou une information reconnue et quelconque, elles (les machines) nous rappellent à nos meilleurs souvenirs. Selon... selon peut-être la nature de l'oubli. Vaste bordel. Et quant bien même la machine pourrait apprendre à oublier, il lui serait impossible de paramétrer sa mémoire ou bien son algorithme de l'oubli sur ce qu'elle ne sait pas, ce qu'elle ne saura jamais, ce qu'elle n'a jamais envisagé... pour le meilleur et pour le pire. C'est ici que le terme avatar réapparait comme par enchantement. Sans raison aucune, sans correspondance.
hombre. tienes una solucion ? nose.
De ce récit d'anticipation de Théophile Gautier, Avatar (publié en 1857), jusqu' à ce récent western bleuté au semblable titre, la science-fiction est dead, nous abandonnant du jour au lendemain, nous délaissant. Nous le percevons, toi, moi et les machines. Distinctement. La Fiancée de Frankenstein est décédée, pour de réel. Agatha et Rachel évincées, pour de vrai. Si c'est une femme. Il serait idiot de l'espérer encore (cette autre fiction), d'y reposer ses désirs, d'y poétiser la science. Les mécas, les répliquants et les précogs ont disparu. Et de cette lente agonie, il nous reste les rêves. Et Kafka. Il nous subsiste les pas. Et Beckett. Il nous demeure Ophélie à la tête dans la cuisinière à gaz. Et Müller. Nous ne sommes pas si seuls que cela finalement, toi, moi et les machines. Et Borges et les autres.
but we are cry righ now for our frind hiba vita who is dead.
En janvier 2022, la novlangue d'Orwell produit son propre corps vivant. Celle qui avala de sorte tentaculaire toutes les autres langues est adoptée par ce nouveau monde dénommé Novland. Les données publiées sur le réseau internet par des milliards de

personnes pendant trois décennies ont été supprimées de leurs serveurs natifs. Elles étaient des photographies d'enfance, des conversations amoureuses, des images violentes témoignant des dernières guerres, des enregistrements bruyants et scandaleux ou silencieux, des temps. Ce temps. En trente années, le pouvoir de la seconde vie a modélisé la perception. Chaque signe du réel a engendré son propre double, qui lui- même s'est dupliqué à outrance, transformable à l'envi. Chacune des milliards de données publiées pendant trente années a produit du sens et du sensible dès son arrivée dans la coursive du réseau internet. La poubellication dont parlait le vieux singe Lacan s'est inversée sans que personne ne s'y attache. La circulation gémellaire de ces données, réelle et virtuelle, a fabriqué cette seconde vie sur cet autre territoire dénommé Novland. La question se pose : que faire de cette première vie ? Novland mon amour. Revenir à nos moutons ?
why do you say that ?
Alors donc, revenons à la réalité. Au réel. À cet avatar. À cette machine. Et le ressac blabla, disait l'autre.
he is online. dead avas are offline. angel help me.
Bref. Ce que la machine et la science-fiction ne savent pas, c'est que nous nous sommes éloignés d'elles en toute simplicité. « Il s'agirait simplement de chercher à conserver ce qui intéresse la conscience » écrivait Bioy Casares dans sa visionnaire Invention de Morel. Ce qu'elles ont ignoré également, c'est que nous nous serions naturellement octroyés une seconde vie, ici et à distance, en quelques hétérotopies, sur Novland ou ailleurs. Et d'ailleurs, l'écrivain (lequel ?) débutait son roman préfacé en 1940 par Borges ainsi : « Aujourd'hui, sur cetteîle, s'est produit un miracle ».
Nous avons délaissé nos premières vies simplement. Nous nous sommes reposés en ces îles. Nous avons produit des miracles. Nous avons pris des corps dissonants, nous nous

sommes dessinés à l'envi, nous avons joué du genre, passant de l'un vers l'autre jusqu'à celui qu'il reste à deviner. Nous avons aimé à en mourir. Nous avons joui des mots et de leurs modélisations extrêmes. Nous nous sommes réellement attachés au pouvoir de cette seconde vie, cet autre corps vivant. Avatar mon amour. J'ai pris les photographies d'un cimetière sans nouvelle mort. Je sais qu'il existe. Je n'ai rien inventé. J'ai été elle
et moi à la fois. Et d'ailleurs, ce voyage, je peux le raconter si je veux, car j'étais avec eux tout le temps. Je ne me suis pas perdue seule, nous étions des milliers, des millions, la terre entière, à écrire nos propres vies sans repos, nos douleurs captives, nos failles à venir. Je peux le raconter, nous étions à nouveau ensemble sur cette île. Sans moi. Et le temps, le temps s'est découlé à son propre rythme, celui du désir de l'autre, de l'étranger, du corps pensé. Car la machine et la science-fiction avaient oublié que nous avons pensé la possibilité d'un autre moi, toi et les autres. Que nous avions fabriqué
nos moindres faits et gestes et émotions, inventeurs de nouvelles perceptions. Que nous nous reconnaitrons au delà des signes établis. Je suis Rachel, je suis Agatha, je suis Roxanne et la Fiancée de F. Je suis elle et toi à la fois. Je n'oublie pas, je n'oublie rien. Mon corps n'est plus, je suis Vishnu et mes avatars se succèdent, se vivent et se subliment pour quelques durées et fonctions très paramétrées et réfléchies. Je sais qui je suis, je connais mon algorithme et je mourrai de perdre le souvenir des mes uns et mes autres, gémellaires et advenus à la fois, advenus de mon propre corps, de ma propre pensée ou la tienne, de notre inconsistance également. Je regarde l'agonie de cette première vie. Je te regarde. Je sais bien que la théorie freudienne est à foutre en l'air. Enfin. C'est déjà cela de gagné.
Help me. please. Help me.
Ils disent que les mondes virtuels sont en voie de disparition, ils disent que les jeux vidéos rendent dingues, ils disent que l'addiction au réseau internet est dommageable, ils essaient de surveiller nos téléchargements, de nous faire payer la moindre de nos

connexions, la plus infime circulation de nos données. Ils pourraient même nous interdire de nous rêver en quelques identités étranges et pénétrantes. Ils y réussiraient. Ils pourraient désirer assassiner nos doubles, avatars mes amours. Ils y parviendraient. Ils sont très puissants ceux qui ont oublié que la machine, les machines, ne peuvent pas nous réduire à nos simples expressions de contributeurs de contenus. S'il suffisait simplement de chercher à conserver ce qui intéresse la conscience, ce serait reposant. Nous pourrions alors écrire une sorte de manifeste, un écrit sur ce fait de l'inversion. Nous y décririons de quelle sorte nous nous y sommes embarqués. De quelle sorte nos premières vies agonisent. Seules. De quelle infime sensation nous savons les avoir délaissées et de quelle sorte nous pourrions nous y reposer à nouveau. Nous pourrions écrire les souvenirs de cette première vie, en tentant de ne rien oublier. Nous devrions faire comme si... comme si elle nous importait, comme si nous étions en mesure de l'entrevoir.
you are an angel ? yes.
Jamais elle n'aurait pu s'imaginer 1 seconde qu'elle se retrouverait, là, 1 jour, sur cette plaque de glace, se laissant dériver au grès du réchauffement. Jamais elle n'avait ressenti autant d'apaisement dans ce monde qui l'entourait. Elle comprenait à présent qu'elle venait d'accéder à 1 niveau supérieur. Elle comprenait que le blanc total serait à jamais la seule possibilité d'1 île. Elle se souvenait de ce livre aussi. Elle ne ressentait pas exactement ce froid sur sa peau, elle percevait autre chose, quelque chose de nouveau, 1 nouvelle sensation. Elle se savait là, ailleurs et à la fois. Elle vivait 1 sorte de rêve, 1 espèce de garanti de vivre plus longtemps, 1 peu plus longtemps. Elle eut même 1 instant le désir d'arrêter de fumer et de boire du café. Cet instant fut bref, si bref, oublié, mort-né. Elle cherchait alors ce à quoi elle pensait quelques secondes auparavant. Elle avait perdu les mots. Elle devait se concentrer, c'était 1 idée nouvelle, 1 idée extraordinaire qu'elle venait d'avoir, mais elle ne l'avait pas notée. Elle s'en voulait. Elle

triphonait dans son esprit la couleur, la forme de cette idée, elle cherchait le contour d'1 mot. Mais il lui était impossible de s'en souvenir. Elle finit par s'endormir sur cette plaque de glace. Seule au monde.
amen.
Seule. Désespérément seule. Impossible de revenir à cette première vie. Car ce temps passé avec toi et les autres, ce récit d'immortalité que nous nous sommes librement partagé, ces sensations sur le bout des doigts et des lèvres qui n'ont jamais reçues de termes appropriés, de ces manques inavoués... et ce terrible manque, celui des mots pour leur dire d'un autre name, d'une toute autre shape, d'une skin réinventée et d'une pensée ailleurs que
ok. oki. AdC

 

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Virtual Walden
monde virtuel et littéraire

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Le Rêve digital d'Alissa
bande machinée

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Les Données dans les nuages
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repérage pour un monde virtuel

2011
Beyond California Sex Offenders
clé usb, "pop up"

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figure féminine, persistante

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