La circulation des images numériques
Rencontre avec Agnès de Cayeux et Bernard Stiegler
Centre pompidou à l'occasion du Festival Pocket Films et la diffusion du film Level7
8 octobre 2006
Ce que je ne sais pas
Quant à la circulation des images
J'aime regarder les images circuler. Je perçois les pratiques actuelles
sur les réseaux comme la préfiguration intelligente et sensible de
notre propre évolution. Ce geste banal. Celui de l'amateur précisément
qui dépose peu à peu la syntaxe relationnelle à venir - sociale et
identitaire.
Nous
devons habiter ces zones du réel et nous devons en activer les
mouvements d'oscillations. Nous avons la chance de pouvoir vivre cette
mutation. Nous devons regarder TF1 comme Chloé Delaume, nous devons
traverser ces réseaux comme nos propres territoires réels, si réels.
Nous ne pouvons pas aujourd'hui nous abstraire de ceux-ci. Nous menons
un combat singulier : celui d'affirmer le fait que nous n'y comprenons
rien.
Lorsqu'à partir de cette année 1996, je
commence à habiter les réseaux, j'observe et plus précisément sur les
chambres de rencontres vidéo-chat, j'observe donc l'autre, l'amateur et
note minutieusement ses pratiques. Je mène des expériences avec lui, je
suis lui et moi. Et je vois l'autre dans ce geste banal s'emparer des
outils et les détourner de leurs fonctionnalités, inventer une
grammaire relationnelle, un jeu identitaire, des règles, des
fondements, que sais-je ? Je le regarde se définir peu à peu dans ce
territoire mouvant comme un être mutant. Ces amateurs-là expriment
leurs devenirs, leur mutation - la nôtre - leur manière d'exister
ailleurs socialement et intimement. Leur manière d'être lui et lui et
moi et tous les autres . Et ceci librement.
Puis, il
y a eu ce phénomène des blogs, de cette manière de s'exposer, de se
mettre en scène, de se donner à voir, à lire, de cette exhibition
radicale des corps et des mots. Un autre jeu identitaire. Une autre
circulation des images que j'aime à regarder mais qui me lasse parfois,
car je la trouve très narcissique et éloignée des enjeux de ce
territoire des réseaux.
Et depuis peu, ces plates-formes comme youtube ou myspace. De cette circulation à outrance des images.
Je
ne me lasse pas d'observer certains de leurs acteurs dans ce geste
précis du désir de soi et lui et moi. Cette envie-là de l'accessibilité
de l'autre à soi me touche parce que je la crois libre. J'espère qu'il
s'agit ici d'un instant possible d'expression de soi et moi et lui qui
participe de la compréhension de notre nouvelle identité dans ces zones
du réel.
Sur ces plates-formes et quant à ce second
geste qui consiste à numériser, stocker et proposer à tous et librement
des émissions, des discours politiques, des concerts, je le vois comme
le geste d'un collectionneur, d'un adolescent, d'une personne engagée
souhaitant partager une une obsession, une conviction, une précision.
Cet accès libre à l'information me plaît à outrance.
Quant
à l'intrusion de channels de publicité sur ces plates-formes pour la
vente du premier album de cette jeune starlette Paris Hilton, par
exemple, je ne m'y intéresse pas, Cette proposition est outrageusement
criante, je ne l'aime pas.
Et puis ce phénomène
nommé happy slapping, tant et tant médiatisé. Mais dont il faut parler
à outrance sans doute. J'y perçois l'expression d'une grande maîtrise
des outils et de la connaissance précise des réseaux par nos gosses.
D'un réseau à un autre librement.
Mais il y a ce
truc qui m'effraie et que je n'aime pas : la non-circulation des
images, des médias. La normalisation des canaux de diffusion des «
contenus ». Ces infrastructures naissantes qui opéreront sur un très
haut débit, notre future Ville 3.0 ? là où nous ne pourrons plus
habiter moi, toi et tous les autres.
Agnès de Cayeux - octobre 2006 |