C’est une femme. Iben Mondrup. Elle est artiste, plasticienne. Elle écrit aussi, au sujet d’autres artistes, groenlandais ou non. Iben Mondrup est une femme engagée et libre, libre d’ouvrir un espace critique et de désigner l’art contemporain précisemment où il se déploie là-haut, au Groenland, le sien. Curatrice du programme INUIT LIVE ! présenté au Musée d’Art Contemporain de Roskilde (Danemark) en avril 2011, elle a développé sa démarche au travers d’un long texte, tranchant et fragile à la fois. Tout en dessous, une première traduction (qui sera corrigée plus tard, plus tardivement, ailleurs).
links des artistes cités dans le texte d’Iben Mondrup :
. le blog d’Iben Mondrup : http://ibenmondrup.dk
. la page de l’article écrit en danois : http://ibenmondrup.dk/?p=1556
. la page du programme Inuit Live ! sur le site du Musée d’Art Contemporain de Roskilde (Danemark) : http://samtidskunst.dk/en/view/objekt/?tabel=arrangementer&id=261
. Julie Edel Hardenberg, plasticienne: http://www.hardenberg.dk et son “Danmark 2010″ http://www.hardenberg.dk/index.php?/exhibitions/danmark-2010 et son “Made in” http://www.hardenberg.dk/index.php?/works/made-in
. un article d’Iben Mondrup sur une performance de Jessie Kleemaan, plasticienne et performeuse http://ibenmondrup.dk/?p=1513
. le myspace (2010) de Lu Uberthelsen, musicien et performeur http://www.myspace.com/violetgib
. le profil facebook de NukaThaDiva (aka Nuka Bisgaard), performeur http://www.facebook.com/pages/NukaThaDiva/161539963860710?ref=ts
. le blog de Nanna Anik Nikolajsen, plasticienne : http://aplacewhichnameyoucantpronounce.blogspot.com
. le site d’Otto Rosing, cinéaste : http://www.ottorosing.com
traduction entre amis:)
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Dialogue et échange - INUIT LIVE !
au Musée d’Art Contemporain de Roskilde (Danemark)
” Dans le cadre du live-programme que j’ai mis en place au Musée d’Art Contemporain de Roskilde en avril 2011, j’ai été à nouveau rappelée a la difficulté de donner une image, de livrer une perception de l’art groenlandais au Danemark sans qu’il soit considéré comme une particularité de la réserve groenlandaise. (…)
Plutôt que de refuser cette demande, en me référent à cette problématique de notion de réserve, j’ai décidé de relever le défi et de présenter des artistes et des propositions de diverses formes, en rupture avec l’image stéréotypée que nous avons si souvent du Groenland. A la place des tambours et des danses masquées, j’ai proposé des performances artistiques. Au lieu d’une chorale, j’ai choisi un spectacle de travestis. Et à défaut de programmer des films sur la nature, j’ai préféré présenter des pièces d’art vidéo.
Le fait de programmer des festivals et des événements groenlandais correspond probablement à une réelle volonté d’établir un dialogue avec le Groenland et de transmettre au public danois ce qu’il est. C’est précisément ce que nous pourrions appeler une rencontre culturelle, dont les pièges que j’ai évoqués lors du discours d’ouverture de ce live-programme au Musée d’Art Contemporain de Roskilde échappent parfois aux organisateurs.
Le titre de ce discours d’ouverture « Dialogue et échange » pourrait ressembler à celui d’un programme d’entraide pour les nations ou les mariages en détresse. Ce n’est bien sûr pas le cas. Mais j’ai pensé qu’il était approprié, puisque nous nous retrouvons à présent dans un musée d’art contemporain dont la plus belle mission est de s’engager dans un dialogue. (…)
Je rencontre souvent des regards, portés sur le Groenland ou les Inuits, remplis de clichés ou au mieux un peu simplistes. Et en même temps, j’éprouve le désir d’inverser ces lieux communs vers une pensée. Je croise aussi souvent des personnes qui me demandent où regarder, de quelle manière ils doivent avancer pour chercher à comprendre.
Dans le paysage médiatique danois, sont régulièrement proposés des productions et des événements qui tentent de s’attaquer à ce Groenland - articles de journaux, programmes TV, documentaires et livres. Les journalistes, cinéastes, photographes et écrivains qui sont préoccupés par le Groenland aimeraient partager leurs approches avec le public danois, ce public en appétit.
Malheureusement (dois-je dire), il est encore rare que ces initiatives partant de bonnes intentions tiennent leurs promesses au delà des clichés. L’accent est presque toujours porté sur les mêmes thèmes, sur les difficultés sociales, mais un magnifique pays et ses habitants. Sur l’alcool, la danse du tambour et les futures ressources naturelles. Cela laisse bien entendu, le public à priori curieux, confus et frustré de recevoir ces clichés comme l’expression d’une vérité, comme ceci se produit souvent au travers des médias.
Le Groenland est, en effet, d’une grandeur extraordinaire et ingérable pour être rationnel et il est également si loin de tout. Si nous n’avions pas d’histoire commune, beaucoup moins de personnes s’intéresseraient à ce qu’il se passe là-haut. Mais de cette histoire partagée, nous pouvons avoir un regard dirigé vers l’autre, cela fait partie de notre programme.
Une grande partie de la connaissance que nous avons du Groenland provient d’études ethnographiques, c’est-à-dire quelque chose proche (et là permettez-moi de recourir à des clichés) de l’homme blanc qui débarque et filme et écrit sur la nature fascinante. Mais si vous désirez connaître le Groenland, oui, c’est une bonne idée de le visiter ainsi que les groenlandais eux-mêmes.
Malheureusement, nous y venons encore trop peu souvent, pour comprendre ce qu’il s’y livre réellement. Soit parce que nous ne pouvons pas regarder assez loin (la distance avec le Groenland ne s’est pas écourtée avec le temps), soit parce que nous ne sommes pas capables simplement de partager les bouleversements qu’il s’y passe.
Je pourrais citer différents rendez-vous où il serait naturel d’avoir également les artistes groenlandais représentés. Non parce qu’ils soient groenlandais, mais parce qu’ils ont des démarches intéressantes à offrir. Qu’ils soient musiciens, acteurs, cinéastes, écrivains et artistes visuels. Et je suis étonnée de leur absence.
Je ne vais pas m’engager sur des théories visant à déterminer s’il existe une logique d’exclusion, mais simplement noter que dans un sens ou dans l’autre, la situation est spéciale. Nous pourrions dire qu’il nous faut entrer dans une sorte de sanctuaire avant d’avoir la possibilité d’entendre et de voir des artistes comme ceux qui sont présents sur Inuit Live ! Nous devons nous engager là ou nous pouvons discuter avec eux de questionnements à partager, nous devons apprendre à nous connaitre mutuellement, à dialoguer et à échanger des expériences. Mais pas seulement : les prémisses d’un dialogue sont aussi inhérentes à des oppositions, nous devons déposer nos différences dans la scène – avec l’intention de construire des ponts.
Fondamentalement, nous ne sommes pas si différents. Et lorsque nous nous exprimons dans l’art du langage, notre communauté est d’autant plus lisible. Est-ce un cliché ? Non, pas du tout. Certains artistes sont si porteurs, car l’art est un espace de dialogue, et donc un endroit où nous pouvons émettre les hypothèses que nous avons tous. Cela est particulièrement vrai de l’art contemporain qui souhaite onduler, en images et en sons et en mouvement, ici et maintenant, LIVE !
Pour moi, c’est un plaisir très particulier de présenter au public l’art de la performance, (…). Julie Edel Hardenberg réalise un geste fort fondé sur une proposition de langage qui se déroule sous diverses formes dans la « kunstens rum ». Jessie Kleemann invite magnifiquement son auditoire dans le beau et le repoussant mélange de la culture groenlandaise, Lu Berthelsen et Nuka Bisgaard ont saisi le public avec le fracas d’un spectacle de travestis le soir du vernissage. Et aux côtés de ces artistes Live, est présenté un documentaire de Nanna Anik Nikolajsen et Ivalo Frank, et ces quelques indices qui ont ouvert des discussions passionnantes et enrichissantes entre le public et les protagonistes. Enfin et surtout, Otto Rosing et le film de la production Torben Bech “Nuummioq” ont proposé un projet qui soutient mon sentiment qu’il est très difficile de venir au Groenland pour voir des productions dans «l’ordinaire» de la vie culturelle danoise (le film n’a pas encore été diffusé dans les cinémas danois).
A titre de curatrice, je suis fière d’avoir eu l’occasion de présenter ces artistes importants pour le public. (…) Il existe sincèrement un art de qualité. ”
Iben Mondrup, mai 2011
Le texte est écrit sur la base du discours d’ouverture du Inuits Live !