Data Center, antennes et satellite
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Ce que la machine et la science-fiction ne savent pas, c’est que nous nous sommes éloignés d’elles en toute simplicité. « Il s’agirait simplement de chercher à conserver ce qui intéresse la conscience » écrivait Bioy Casares dans sa visionnaire Invention de Morel. Ce qu’elles ont ignoré également, c’est que nous nous serions naturellement octroyés une seconde vie, ici et à distance, en quelques hétérotopies, sur Novland ou ailleurs. Et d’ailleurs, l’écrivain (lequel ?) débutait son roman préfacé en 1940 par Borges ainsi : « Aujourd’hui, sur cette île, s’est produit un miracle ».
Nous avons délaissé nos premières vies simplement. Nous nous sommes reposés en ces îles. Nous avons produit des miracles. Nous avons pris des corps dissonants, nous nous sommes dessinés à l’envi, nous avons joué du genre, passant de l’un vers l’autre jusqu’à celui qu’il reste à deviner. Nous avons aimé à en mourir. Nous avons joui des mots et de leurs modélisations extrêmes. Nous nous sommes réellement attachés au pouvoir de cette seconde vie, cet autre corps vivant. Avatar mon amour. J’ai pris les photographies d’un cimetière sans nouvelle mort. Je sais qu’il existe. Je n’ai rien inventé. J’ai été elle et moi à la fois. Et d’ailleurs, ce voyage, je peux le raconter si je veux, car j’étais avec eux tout le temps. Je ne me suis pas perdue seule, nous étions des milliers, des millions, la terre entière, à écrire nos propres vies sans repos, nos douleurs captives, nos failles à venir. Je peux le raconter, nous étions à nouveau ensemble sur cette île. Sans moi. Et le temps, le temps s’est découlé à son propre rythme, celui du désir de l’autre, de l’étranger, du corps pensé. Car la machine et la science-fiction avaient oublié que nous avons pensé la possibilité d’un autre moi, toi et les autres. Que nous avions fabriqué nos moindres faits et gestes et émotions, inventeurs de nouvelles perceptions. Que nous nous reconnaitrons au delà des signes établis. Je suis Rachel, je suis Agatha, je suis Roxanne et la Fiancée de F. Je suis elle et toi à la fois. Je n’oublie pas, je n’oublie rien. Mon corps n’est plus, je suis Vishnu et mes avatars se succèdent, se vivent et se subliment pour quelques durées et fonctions très paramétrées et réfléchies. Je sais qui je suis, je connais mon algorithme et je mourrai de perdre le souvenir des mes uns et mes autres, gémellaires et advenus à la fois, advenus de mon propre corps, de ma propre pensée ou la tienne, de notre inconsistance également. Je regarde l’agonie de cette première vie. Je te regarde. Je sais bien que la théorie freudienne est à foutre en l’air. Enfin. C’est déjà cela de gagné.
Help me. please. Help me.
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